Une vague de contenus générés par intelligence artificielle déferle sur Internet. Baptisé « AI slop », ce raz-de-marée menace la qualité de l’information en ligne. Peut-il contaminer la formation continue en entreprise ? Le risque est plus réel qu’on ne l’imagine. Les directions formation doivent agir, vite et fort, pour éviter une perte de repères qui pourrait s’avérer fatale à leurs dispositifs.
Un phénomène déjà à l'œuvre dans la formation continue
Le slop, c’est cette soupe tiède servie à la chaîne par des IA bon marché : textes creux, vidéos artificielles, visuels trompeurs, souvent erronés, toujours calibrés pour faire du clic. Ce contenu généré automatiquement inonde déjà les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les plateformes vidéo… ou le champ marketing des fournisseurs, au point que la plupart des textes (invitation à un webinaire, post sur un blog) finissent par se ressembler. Le phénomène n’a rien d’anecdotique : il redéfinit le paysage informationnel mondial. Dans cette économie du « vite fait, mal fait », l’objectif est simple : nourrir les algorithmes, capter l’attention, monétiser l’engagement. Peu importe la vérité, la rigueur, la valeur ajoutée. Le problème ? Le contenu slop a dépassé le stade de curiosité ou de parasite des réseaux pour devenir une nouvelle norme de production et de consommation du savoir ; il commence à s’immiscer, en douce, dans des domaines qu’on croyait préservés, dont celui de la formation professionnelle. Le slop n’a pas attendu d’invitation pour faire irruption dans les catalogues d’autoformation, les plateformes ouvertes et les moteurs de recherche pédagogiques. Il suffit de taper une requête un peu généraliste sur un sujet RH ou réglementaire, pour voir apparaître des articles approximatifs, signés de pseudos flous, écrits avec la fluidité suspecte des modèles de langage (on fait l’économie des fautes d’orthographe ou de syntaxe, mais à quel prix ?). Des vidéos de microlearning, scénarisées sans expertise, racontent tout et son contraire avec une voix synthétique déguisée. Des modules e-learning au rabais, packagés à la va-vite pour répondre à des appels d’offres, compilent des contenus générés sans aucune vérification sérieuse. Last but not least : ces contenus ont parfois pignon sur rue (certains prestataires les revendent sous des marques blanches, les intègrent dans des catalogues en apparence crédibles, les injectent même dans les LMS d’entreprise).
Une menace profonde pour la confiance et la performance
Le problème est technique, éthique, et même structurel. Le slop fragilise la chaîne de confiance sur laquelle repose toute stratégie de développement des compétences. Quand les collaborateurs ne savent plus si le contenu qu’on leur propose est fiable, pertinent, actualisé, ils décrochent. Une réaction logique : dans un environnement saturé de contenus synthétiques, le réflexe est de tout remettre en question, ou pire, de tout mettre à distance. Le risque, c’est celui d’un effondrement progressif de l’attention, de la motivation, de l’apprentissage. À quoi bon se former, si les ressources sont creuses ? Pourquoi consacrer du temps à une vidéo fade ou à un quiz hors-sujet ? Le slop installe une fatigue silencieuse, une lassitude cognitive qui finit par ruiner l’efficacité des dispositifs. Les entreprises qui investissent massivement dans des outils de diffusion, sans vérifier la qualité des contenus embarqués, creusent leur propre déficit d’impact. Ce que le slop coûte aux entreprises n’est pas qu’une question de réputation. C’est une question de performance. Quand les équipes sont formées à des contenus approximatifs, elles prennent de mauvaises décisions. Quand les managers se réfèrent à des synthèses générées par IA sans expertise humaine, ils perdent en discernement. Quand les référentiels métiers s’enrichissent de documents issus de bases contaminées, ils deviennent bancals. Ce ne sont pas des hypothèses : ce sont des constats. Plusieurs groupes, dans la banque, l’énergie, les télécoms, ont commencé à nettoyer leurs intranets, à traquer les contenus IA de basse qualité insérés via des outils bureautiques. Et les premières analyses montrent une infiltration rapide, surtout dans les documents produits dans l’urgence ou traduits automatiquement. À défaut d’être rapidement colmatée, cette brèche attentera durablement à la capacité d’adaptation des organisations.
Un impératif de gouvernance x opportunité pour les directions formation
Il ne suffit pas d’interdire les contenus IA, ni même de les bannir des plateformes, car l’IA générative n’est pas en cause ! Ce qui l’est, c’est l’absence de filtre, de responsabilité, d’intelligence humaine dans la chaîne de production et de validation. La réponse passe donc par un renforcement drastique de la gouvernance des contenus de formation. Cela implique, d’abord, de réévaluer les politiques d’achat et de référencement des contenus. Qui produit ? Comment ? Avec quelles garanties ? Les directions formation ne peuvent plus sous-traiter à l’aveugle. Ensuite, il s’agit de reconstruire des circuits courts de création de valeur : des formats plus longs, plus denses, co-construits avec les experts internes, éditorialisés avec rigueur. Cela suppose aussi de redonner du poids à l’analyse, à la lecture critique, à la contextualisation. Le contenu « pensé pour former » doit redevenir un critère central, bien au-delà du format ou de l’ergonomie. Par ailleurs, le contenu humain redevient surtout un marqueur de valeur : cette crise offre l’opportunité de se distinguer par la qualité. Les prestataires capables de démontrer l’expertise humaine derrière chaque contenu, les services formation qui mettent en scène des parcours intelligents et incarnés, les concepteurs qui savent mêler IA et rigueur éditoriale, gagneront sans aucun doute en légitimité. Le retour en grâce des formats longs, des séquences tutorées, du présentiel réinventé n’est pas un hasard : c’est une réponse directe à la déferlante du slop. Ce qui marque les esprits, ce n’est pas la vitesse ou le volume, c’est la justesse. C’est l’intention pédagogique claire, l’alignement avec le réel, la trace qu’on laisse dans les pratiques.
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