Avec Petocask, l’OPPBTP prend le contrepied des approches classiques de sensibilisation aux risques professionnels. Ce jeu mobile à l’univers décalé, conçu pour les apprentis du BTP, mêle humour, mécaniques de gaming et ancrage métier pour marquer durablement les esprits. Finaliste des Trophées du Digital Learning 2025, le projet revendique une pédagogie autonome et engageante, pensée pour les usages réels des jeunes publics. Anne Clapier, cheffe de projet, revient sur une aventure aussi ambitieuse qu'utile.
Pourquoi avoir choisi un jeu mobile pour sensibiliser aux risques sur les chantiers ?
L’idée de Petocask est née d’un constat préoccupant : les apprentis en CAP BTP, souvent tout juste sortis de troisième, commencent leur parcours professionnel par l’entreprise, avant même d’avoir assisté à leur premier cours en CFA. Ce décalage entraîne une situation critique : ces jeunes, peu ou pas formés aux règles de sécurité, se retrouvent exposés très tôt aux risques du chantier. On observe d’ailleurs une sinistralité importante à cette étape, avec des accidents fréquents, parfois graves et de nombreux Troubles Musculo Squelettiques. En tant qu’organisme de prévention, nous avons donc voulu agir rapidement et efficacement pour protéger ces jeunes salariés dès leurs premiers pas sur le chantier. Il nous fallait un support accessible, engageant, autonome et (surtout) utilisable sans accompagnement pédagogique. Le format du jeu mobile s’est imposé naturellement : c’est un média que les jeunes connaissent, apprécient et pratiquent régulièrement. Notre objectif était clair : les sensibiliser sans les ennuyer, à travers une expérience ludique, humoristique, et pourtant fondamentalement pédagogique.
Comment avez-vous intégré les réalités des métiers du BTP dans les mini-jeux ?
Dans le jeu, nous avons veillé à représenter la diversité des métiers du BTP, tout en restant fidèles aux risques spécifiques liés à chacun d’eux. Qu’il s’agisse de travaux sur toiture, en tranchées, ou dans des vides sanitaires, chaque mini-jeu met en scène des situations réelles que les jeunes professionnels seront amenés à rencontrer. Chaque mini-jeu a également été conçu avec des gameplays variés, des mécaniques de progression avec paliers à franchir, des niveaux « boss », et des systèmes de récompenses motivants. On gagne des voitures, des camions, des engins de chantier ou même des personnages issus de la pop culture. Chaque mission réussie permet au joueur de développer son entreprise virtuelle. Et, nous avons injecté une bonne dose d’humour dans tout le parcours ! Ce ton décalé, presque « cartoonesque », est un véritable levier d’adhésion, et il participe au plaisir de jouer. Un plaisir qui rend l’apprentissage d’autant plus efficace.
Le jeu inclut des « permis » pour valider les acquis, et même des scènes “trash” pour marquer les esprits…
Les permis jouent un rôle central dans notre mécanique d’apprentissage. Il s’agit de quiz de validation construits autour de mises en situation concrètes. Par exemple, le joueur est confronté à deux machines dans un atelier bois, l’une avec système d’aspiration des poussières, l’autre sans. Il doit choisir la solution la plus sûre, et ce, de manière rapide et intuitive. Ce type de choix permet de vérifier la compréhension des messages de prévention, tout en s’inscrivant dans la logique du jeu : progresser pour développer son entreprise. Quant aux scènes « trash », elles participent à notre volonté de marquer les esprits sans traumatiser. Inspirés par l’univers de l’animation, à la manière de Tom & Jerry, ces moments illustrent les conséquences d’un comportement à risque de façon exagérée, burlesque, presque absurde. On ne montre pas une scène violente hyperréaliste ; on fait, par exemple, tomber un personnage dans une poubelle qui se referme. L’humour et l’exagération permettent de faire rire… et de faire réfléchir. C’est un équilibre subtil, mais essentiel à la réussite du projet.
Quel a été l’accueil sur le terrain, notamment de la part des jeunes en formation ou des professionnels déjà en poste ?
L’accueil a été très positif, à plusieurs niveaux. Du côté des équipes pédagogiques (formatrices et formateurs, responsables pédagogiques ou directeurs d’établissement) les retours ont été enthousiastes. Tous ont salué l’originalité du format, la pertinence des contenus, et surtout, l’engagement qu’il suscite chez les jeunes. Par ailleurs, c’est avec ces jeunes que nous avons construit le jeu. Nous avons mené plus de 600 tests en CFA, pour comprendre ce qui fonctionnait, ce qui devait être amélioré, et ce que les joueurs retenaient réellement. Leurs retours ont façonné Petocask, dans sa forme comme dans son fond. Ce travail d’itération avec les apprentis a été une étape cruciale pour garantir la qualité et l’impact du projet.
Selon vous, comment Petocask renouvelle-t-il les approches de prévention dans le secteur du BTP ?
Petocask représente un changement de paradigme dans la manière d’aborder la prévention. Historiquement, les campagnes de sécurité dans le BTP reposaient souvent sur des supports austères, très réalistes, parfois culpabilisants. Nous avons choisi une voie radicalement différente : celle du jeu, de l’humour, et d’un ton volontairement décalé, tout en restant fidèles aux messages de fond. Nous nous sommes notamment inspirés d’une campagne australienne très percutante, « Dumb Ways to Die », qui avait su transformer un sujet grave en phénomène viral grâce à son esthétique colorée, sa musique entêtante et ses situations absurdes. Ce genre de format touche les émotions et la mémoire, et c’est là tout l’enjeu : transmettre des messages essentiels de manière durable, sans susciter de rejet. Plus largement, Petocask illustre l’évolution du digital learning vers des formes plus interactives, plus personnalisées et plus engageantes. Ce n’est pas juste un « serious game », c’est un outil d’apprentissage autonome, pensé pour les usages réels des jeunes publics, sur leurs supports, à leurs rythmes. C’est aussi une manière de donner une voix aux apprenants, en les impliquant dès la conception, et en tenant compte de leurs retours à chaque étape.
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