Le rapport de la Global Skills Week 2025 éclaire les mutations en cours dans les systèmes de formation, d’enseignement et d’emploi. Il dresse une cartographie dynamique des tendances qui redessinent les pratiques : disparition progressive du critère du diplôme, percée de l’intelligence artificielle dans les processus de formation, reconnaissance accrue des parcours courts et certificatifs, ancrage des compétences dans les transitions écologiques et sociétales. Cette fresque, parfois déroutante, souvent stimulante, mérite d’être relue à l’aune des réalités françaises, où les réformes s’enchaînent mais peinent encore à structurer une véritable stratégie nationale des compétences.
Des certitudes qui vacillent, des repères qui se déplacent
À Washington, en mars dernier, la Global Skills Week a réuni 350 décideurs venus des quatre coins du globe : universités, entreprises, acteurs publics, grands opérateurs technologiques. Le rapport qui en émane ne propose ni grand plan, ni solution miracle, mais donne à voir un monde où les frontières entre formation, emploi et employabilité ne tiennent plus. L’entreprise avance, l’école s’adapte, les États observent. Plus de 2,5 millions d’emplois sont jugés « hautement exposés » à l’automatisation aux États-Unis. Un chiffre qui frappe, tout comme les 500 milliards de dollars investis en un an dans le monde dans des programmes de requalification numérique ou d’IA. Mais au-delà des montants, c’est une rupture culturelle qui s’installe : le diplôme cesse d’être un totem. Aux États-Unis, les entreprises abandonnent massivement l’exigence de diplôme dans leurs offres d’emploi. Ce qui compte désormais : des compétences démontrées, contextualisées, vérifiables. Ce que certains appellent le « skills-first hiring » n’est plus un effet de mode : c’est un renversement silencieux des critères de légitimité professionnelle. En France, la tension entre la logique diplôme et la logique compétence reste vive, mais la bascule est enclenchée. La fonction formation devient le bras armé de ce basculement. Certaines institutions françaises en sont pleinement conscientes. France Universités, par exemple, a été consultée sur la transformation des référentiels académiques, tandis que le CNAM apparaît comme un acteur pivot entre recherche, enseignement et reconversion.
Micro-certifications : la reconnaissance se fragmente, l’impact s’installe
Parmi les signaux les plus puissants du rapport, la généralisation des micro-certifications impose un nouveau référentiel. Aux États-Unis, universités, entreprises et États les intègrent dans des stratégies convergentes : compléments de diplôme, parcours modulaires, reconnaissance professionnelle. Le rapport montre que dans certains secteurs, les micro-certifications pèsent déjà plus que les cursus classiques dans les décisions de recrutement. Ces formats courts, souvent alignés sur des compétences métier précises, sont également plébiscités par les salariés en reconversion ou en montée en compétences. En France, le Répertoire Spécifique et les blocs de compétences offrent un début de réponse institutionnelle, mais l’écosystème reste morcelé. Ce qui manque, c’est l’usage partagé. Or les entreprises peuvent jouer un rôle décisif dans la légitimation de ces formats : en les intégrant dans leurs référentiels internes, en les valorisant dans la mobilité, en les finançant via le CPF ou les budgets de montée en compétence. OpenClassrooms, cité dans le rapport, incarne en France ce virage vers une ingénierie modulaire des parcours. Ce que le rapport montre très bien, c’est que la micro-certification n’est pas un format, c’est une logique. Une logique dans laquelle la formation cesse d’être un parcours et devient une stratégie de capitalisation.
L’IA devient structurelle, la formation en prend acte
On aurait tort de résumer la présence de l’intelligence artificielle dans le rapport à une fascination technologique. Ce qui est documenté, ce sont des usages concrets : analyse prédictive des trajectoires, adaptation automatique des contenus de formation, assistants pédagogiques pilotés par IA, simulateurs de compétences en environnement métier. La formation s’équipe, se réorganise, s’automatise partiellement. Dans plusieurs cas, ce sont les équipes RH elles-mêmes qui pilotent l’intégration des solutions IA pour cartographier les compétences en tension ou identifier les potentiels internes. En France, des groupes comme Orange et EDF, mentionnés dans le rapport, expérimentent déjà ces logiques d’alignement dynamique entre IA et stratégie compétences. Mais ailleurs, l’intégration s’accélère. Le rapport agit ici comme un catalyseur : il invite les responsables formation à sortir d’une posture d’attente et à intégrer dès maintenant des briques IA dans leurs dispositifs. Pas pour suivre la tendance, mais pour organiser leur capacité à personnaliser, anticiper, et industrialiser ce qui doit l’être.
Transitions professionnelles, écologiques et systémiques : le rôle pivot des données
La Green Skills Leadership Council, l’une des instances phares du sommet, rappelle que la transition écologique ne se fera pas sans refonte massive des compétences, ni sans dispositifs d’apprentissage ancrés dans les territoires. Les 25 000 personnes reclassées dans des emplois verts par le programme CREST aux États-Unis illustrent ce qui reste à construire en France. Mais ce qui frappe le plus dans le rapport, c’est l’appel à une gouvernance systémique des parcours. Données de performance, interopérabilité des référentiels, transparence des certifications : les auteurs insistent sur la nécessité d’un pilotage par la preuve, en rupture avec la culture déclarative qui domine encore. En France, les outils existent : entretiens professionnels, observatoires métiers, systèmes de gestion des compétences. C’est la capacité à croiser ces données qui manque, à les faire parler, à les mobiliser dans les décisions stratégiques. La formation ne peut plus se permettre d’être un centre de coûts documenté a posteriori. Elle doit devenir un levier de performance piloté par les faits. L’AFPA, également citée, travaille sur ces articulations entre reconversion, données, territoires et emploi durable. Le rapport ne livre pas une solution, mais trace une direction : celle d’une fonction formation qui doit désormais se penser en architecture de systèmes apprenants, et non en catalogue d’actions.
Lien vers le rapport : HolonIQ – Global Skills Week 2025
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