L’intelligence artificielle peut-elle s’accorder avec l’éco-responsabilité ? Derrière cette question apparemment technique se cachent des choix décisifs pour les directions formation. La prise de conscience est en bonne voie ; on ne s’en plaindra pas.
Tension entre promesses technologiques et limites planétaires
Ce qui s’est exprimé dans la conférence en ligne du 12 juin animée par Michel Diaz (Fefaur), c’est une tension que vivent aujourd’hui les responsables formation : répondre à des attentes croissantes en matière de personnalisation, d’automatisation, de performance… sans faire exploser leur impact environnemental. La contradiction semble insoluble. « Les entreprises nous demandent d’aller vite, de faire mieux avec moins, tout en étant exemplaires sur le plan environnemental », constate Estelle Guyot, consultante Digital Learning chez MOS - MindOnSite. D’un côté, les promesses de l’IA : contenus générés à la volée, learning analytics, scénarios adaptatifs. De l’autre, une réalité physique têtue : l’IA consomme massivement de l’énergie, mobilise des ressources rares, génère un effet rebond redoutable. Lina Hamed (Caramel Consulting & Super Egg) enfonce le clou : « Le cerveau humain est 1000 fois plus puissant que le meilleur GPU, et consomme 10 fois moins ! » Derrière l’image, un message clair : la puissance de calcul ne saurait être un critère de légitimité pédagogique. L’efficacité ne se décrète pas avec des teraFLOPS.
Soyons lucides dans nos choix d’intégration
L’un des premiers malentendus pointés par les intervenants concerne la nature même de la demande des entreprises. « Quand une entreprise demande à son fournisseur « d’ajouter de l’IA », la première question que celui-ci doit se poser : en a-t-il vraiment besoin ? », explique Lina Hamed. Le mot « IA » fait souvent écran à l’analyse du besoin, à la recherche de solutions simples, à la sobriété de conception. « On pense résoudre un problème avec de l’IA quand il s’agirait simplement de revoir le dispositif ou d’utiliser intelligemment l’existant », ajoute Véronique Calais, cheffe de projet e-learning chez Ease Learning. Résultat : des projets alourdis, des serveurs surdimensionnés, des outils peu utilisés mais énergivores. L’illusion d’efficacité masque trop souvent l’absence d’utilité réelle. Chez MOS - MindOnSite, l’approche consiste à intégrer l’IA avec parcimonie. « Notre plateforme est frugale, éco-conçue by design, et l’IA n’est utilisée que là où elle apporte une vraie plus-value », insiste Estelle Guyot. Cela suppose une architecture légère, une mutualisation des ressources techniques, et surtout une réflexion pédagogique en amont.
Éco-responsabilité à tous les niveaux
Si l’IA soulève nombre de questions, c’est qu’elle engage bien plus que des considérations techniques. Elle oblige à clarifier la posture de chaque acteur : éditeurs, commanditaires, utilisateurs. Le message est clair : la sobriété ne se délègue pas, elle se décide. Michel Diaz en résume l’esprit : « L’éco-conception, ce n’est pas un supplément d’âme. C’est un principe structurant. » Il faut remettre de la cohérence dans les arbitrages, interroger systématiquement la valeur ajoutée pédagogique, et éviter de céder à l’effet de mode. Cela passe par des garde-fous : poser des limites, adopter une charte d’usage, mettre en place des contrôles humains aux étapes clés, documenter les choix, expliquer les arbitrages. « Les parties prenantes doivent être impliquées, informées, formées. C’est la seule manière d’éviter les projets gadget », complète Lina Hamed. En clair, réinjecter de l’intelligence collective dans un processus trop souvent happé par la fascination technologique.
Vers une autre manière de concevoir l’innovation
Cependant, il n’existe pas de réponse toute faite. Ce qui importe, c’est de penser l’innovation non pas comme une fuite en avant, mais comme une recherche d’équilibres. L’IA n’est pas à rejeter, mais à domestiquer. À condition d’en connaître les effets réels. « On doit questionner la réelle plus-value : qu’est-ce que l’IA permet, ici, que je ne peux pas faire autrement ? », insiste Michel Diaz. Cela exige une démarche rigoureuse : étude d’opportunité, évaluation des risques, arbitrage entre coût global et bénéfices pédagogiques. Pas de solution magique, mais un cap. Le développement durable ne se résume pas à des indicateurs. « La terre, nous l’empruntons à nos enfants », rappelait Saint-Exupéry. Cette phrase résonne plus fort encore dans un secteur comme le Digital Learning, qui façonne les compétences et les imaginaires de demain. « Les plus belles transformations se font grâce à l’intelligence collective », conclut Lina Hamed. La sobriété numérique n’est pas l’ennemie de l’innovation. Elle en est peut-être, aujourd’hui, la condition la plus féconde.
Pour en savoir plus : IA & éco-responsabilité
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