Des années d’innovation pédagogique, de tests technologiques, de tentatives de séduction et de persuasion n’ont pas permis de définitivement résoudre un problème aussi vieux que la formation elle-même : comment maintenir l’engagement d’un salarié dans un apprentissage qui n’est ni imposé ni urgent ? Les responsables formation espèrent trouver une martingale, quitte à revoir leurs fondamentaux, sans trop croire, toutefois, à la solution universelle.
Une motivation difficile à enclencher, plus encore à entretenir
Le constat des formateurs (et des éducateurs) ne date pas d'aujourd'hui : l’engagement apprenant — cette volonté active, parfois enthousiaste, de se former quand rien n’y oblige — résiste à toutes les tentatives de rationalisation. Il ne suffit pas de mettre à disposition les meilleurs contenus, de garantir leur accessibilité, de les habiller d’expériences ludiques ou de promettre des certificats valorisants. Sauf quand ils y sont contraints (formations réglementaires, par exemple), l’immense majorité des apprenants, une fois passés les premiers clics ou la réunion de lancement (rebaptisée KickOff en guise de teasing), décrochent. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé : la promesse du e-learning dès le début des années 2000, s’était construite sur la rupture avec les formats descendants ; vingt ans plus tard, l’accès au digital learning est généralisé, mais l’adhésion reste sujette à caution. Tout a été tenté : du microlearning aux classes inversées ou aux MOOC, de la vidéo interactive à la réalité virtuelle, en passant par le respect des principes de l'andragogie. Même les stratégies à mi-chemin du marketing et de la pédagogie — gamification, nudge, storytelling — ont eu leurs heures de gloire avant de s’essouffler. Les technologies, y compris l’IA, facilitent, elles ne motivent pas. Ce qu’elles ne peuvent remplacer, c’est la décision individuelle d’un salarié d’entrer — ou non — dans un parcours d’apprentissage, une décision profondément personnelle, parfois irrationnelle.
Quand la formation touche aux dynamiques de vie
Ce déficit d’engagement rappelle étrangement d’autres renoncements individuels : abandon des bonnes résolutions, routines sportives interrompues, engagements personnels non tenus. Ce qui semble manquer, ce n’est pas la compréhension du bénéfice, mais la capacité à mobiliser une motivation stable. L’apprentissage n’est qu’un révélateur parmi d’autres d’un phénomène plus global : le pilotage individuel de l’effort dans un environnement de sollicitations constantes. Le rapport “Work Life Integration Report” de LeadLyft révèle que 43 % à 72 % des performances professionnelles inconstantes sont liées à des facteurs personnels, comme la fatigue, le stress ou le sommeil perturbé. Leur concept de “work‑life integration” invite à reconnaître les interactions concrètes entre vie privée et vie professionnelle. Dans cette vision, la motivation devient un indicateur transversal, révélateur d’un alignement global, bien au‑delà de l’activité professionnelle. Se motiver à faire de l’exercice quotidien, tenir ses vœux de nouvelle année ou améliorer son comportement dans la vie de tous les jours, c’est la même problématique : comment faire que la bonne intention devienne action durable ? Considérer la motivation dans un cadre plus global, plutôt que dans le seul cercle de la formation professionnelle, ouvre des pistes. Mais comment la formation peut-elle intervenir sans devenir intrusive dans des sphères personnelles ? Le défi est de taille : travailler ce levier dans une posture de soutien sans imposer, en respectant la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Le coaching, le mentoring et le développement personnel s’y prêtent, pour peu que la formation ne cherche pas à tout ramener à des compétences immédiatement quantifiables.
Publics mouvants, repères incertains
Les nouvelles générations, notamment les Millennials et la génération Z, interrogent d’emblée les ressorts traditionnels de la motivation : progression hiérarchique, reconnaissance sociale, rémunération. À leurs yeux, ces motivations ne suffisent plus. Elles exigent sens, impact, équilibre personnel, cohérence avec leurs valeurs. La fonction formation est alors attendue comme un médiateur, un traducteur entre aspirations individuelles et impératifs collectifs, ouvrant vers un type d’engagement moins utilitariste. Progressivement, un constat s’impose chez les praticiens : il n’y a pas de solution miracle. Aucun format, aucune modalité, aucune technologie ne fonctionne de manière universelle. Chaque besoin, chaque public, chaque contexte rend le succès très circonstanciel. On parvient à une forme d’inadaptation systématique : tout dispositif générique, même bien pensé, manque sa cible si le contexte réel n’est pas pris en compte. D’où l’exigence d’une granularité poussée, d’une singularité : coûteuse, lente, parfois risquée, mais indispensable.
Vers une ingénierie de l’accompagnement
Cette prise de conscience redéfinit le rôle de la formation : exit l’offre conçue comme un catalogue. Il faut maintenant activer, médiatiser, accompagner : designers de parcours ajustés, médiateurs entre besoins diffus et solutions multiples, animateurs de communautés apprenantes. Ce repositionnement exige de nouvelles compétences : écoute, analyse, reformulation, facilitation. Il faut savoir mener des entretiens, dialoguer avec les RH, comprendre les contraintes métier, arbitrer entre désirable, faisable, soutenable. Pour autant, certains aspects de la formation gagnent à être industrialisés, ne serait-ce que pour libérer du temps et des ressources au profit des activités à forte valeur humaine. L'ingénierie des contenus standards, la logistique des inscriptions, la gestion des relances ou encore l'automatisation des suivis peuvent être confiées à des outils ou à des processus robustes. En rendant invisibles ces couches techniques, la fonction formation peut concentrer ses compétences sur l'analyse des besoins, la conception de parcours contextualisés et l'accompagnement au changement. L'industrialisation ciblée n'est pas contradictoire avec une approche artisanale de la formation : elle en est parfois la condition. Ce n’est pas la fin de la formation, mais la fin d’une vision d’industrialisation. Le terrain d’impact revient au plus près de l’humain : créer les conditions pour que chacun, dans son contexte, trouve du sens à apprendre — un défi dans un monde saturé de sollicitations, mais peut‑être l’ultime rôle de la fonction formation aujourd’hui.
Next step : 29 septembre, parution du Dossier d'e-learning Letter : Engager les apprenants : des expériences de formation qui captivent et valorisent les compétences
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