Complexité et incertitude grandissante : nouvelle donne pour la formation

Propulsée sur le devant de la scène lors de la crise sanitaire, la formation continue d’être fortement mobilisée, tous métiers confondus, dans le nécessaire développement des compétences (up skilling) comme dans les reconversions (re skilling) en cours. Le mouvement n’est pas près de s’arrêter, nourri par la transformation plurielle (générationnelle, business, environnementale, sociétale…) qui travaille le monde de l’entreprise. La dimension « services » des métiers de la formation en est profondément remodelée. Nos métiers doivent accompagner l’« apprentissage tout au long de la vie » qui s’impose en toile de fond, ce qui requiert l’émergence incessante de nouvelles compétences, l’évolution des compétences déjà acquises, leur recombinaison ainsi que la mise au rebut de celles devenues inutiles. La notion de compétence prend alors progressivement le pas sur « l’emploi » (un défi de taille pour des professionnels de formation longtemps figés sur l’atteinte d’objectifs pédagogiques souvent déconnectés des réalités du terrain). Au point que le terme même de formation en vient à être toujours plus fréquemment remplacé par celui de « Learning », ouvrant sur des horizons et des pratiques pédagogiques plus larges. Au reste, il s’agit moins désormais de « former » que de « faciliter », ou d’« inciter » l’apprenant qui aura toujours le dernier mot ! La structure « formation », ou bien, devrait-on dire, le département L&D, doit (re)connecter ses ambitions (et ses « posologies formatives ») à celles des attentes et du « besoin » qui émane du Business. Centre de coûts ou de profit, donc, et surtout « Business Partner », acteur de la transformation et non simple exécutant, développant de réelles capacités d’écoute et d’influence, ainsi qu’une sensibilité accrue à la compétitivité et au juste-à-temps qui sont les nouveaux leitmotivs du Business. Le temps n’est plus où le client était captif en salle de classe, le récurrent cède la place ou s’articule au « non récurrent », c’est-à-dire à l’unicité des productions et à la nécessaire montée en puissance de l’innovation. En acquérant une expertise reconnue dans le domaine de l’innovation, les départements L&D deviennent alors des laboratoires où se joue l’avenir des apprentissages, favorisant plus largement au sein des entreprises la culture du « Test & Learn » et de l’expérimentation.

De l’idée à l’innovation : le grand défi des départements L&D

Le champ du Learning est incessamment bouleversé par les innovations digitales dont l’IA générative constitue le meilleur exemple récent de game changer. Risque d’attraper le tournis ! Car s’y perdre est chose aisée. Un mot ici sur l’idéation, approche fréquemment observée dans le domaine des RH. Qui n’a pas assisté à ces « réunions post-it », d’expression et de partage des idées, qui commencent souvent dans l’euphorie pour s’achever dans la frustration lorsque le mur des posts it, une fois photographié (pour bonne conscience), est relégué aux oubliettes de la créativité faute de savoir comment transformer l’essai. Idem des initiatives de type « Digital Factory » qui ont fait florès par le passé : les modernes (le plus souvent isolés dans leur factory) se plaignaient des anciens, classés malgré eux de « has been »… Nous reviendrons sur ce décalage des modernes, caractérisé par l’absence de toute curiosité pour l’existant et les prédécesseurs ; mais nous pouvons déjà en tirer le bilan habituel : une innovation de « culture des fraises hors sol » finalement sans impact et irréconciliable avec le « terreau » de l’entreprise !

L’innovation, justement, parlons-en, selon l’OCDE (Manuel d’Oslo) : « la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou significativement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures. » L’accent est mis sur la mise en œuvre concrète et l’impact réel d’une innovation, et pas seulement sur l’idée ou la découverte. Ainsi, une innovation, c'est une idée qui a trouvé un client ! On entrevoit toutes les difficultés induites pour le département L&D.

L’innovation en marche : un jeu de « compétences » incontournables

Comment contourner cette difficulté ? Passons en revue bonnes pratiques, en synthèse des nombreuses réflexions déjà produites dans e-learning Letter que je mentionne via des liens.

• Maîtrisez les processus d’apprentissage et l’andragogie : à l’heure des « gadgets digitaux » en tous genres, c’est la clé de voûte de toutes vos initiatives et la seule garantie de savoir si elles auront (finalement) de l’impact sur vos apprenants.
• Développez une culture de l’innovation : vous pourrez vous former à quelques méthodes d’innovation comme le « Design Thinking », le « Lean Startup », l’approche C-K (Concept-Knowledge), l’intelligence collective ou encore l’innovation frugale.
• Identifiez besoins, contexte et maturité de votre entreprise en matière d’apprentissage : développez une solide connaissance des besoins Business de votre entreprise (vous y connecterez vos innovations et KPIs associés). Par ailleurs, ce qui est innovant pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres, et plus encore, ne fonctionnera peut-être pas dans votre entreprise ! Analysez et positionnez d'abord (relativisation) votre « point de départ » (culture, moyens, écosystème digital L&D en place, degré de maturité sur les méthodes d’apprentissage, par exemple, appétence pour le digital ou au contraire illectronisme, etc.).
• Faites preuve d’humilité et de curiosité : le principe est d’observer et d’analyser préalablement l’existant avant de vous lancer tous azimuts, en aucun cas de faire immédiatement « table rase » de vos prédécesseurs. La solution à votre problème est peut-être déjà là, comme lorsque nous découvrons en pleine crise sanitaire l’option méconnue des salariés « Webex Training » dans les licences Webex de l’entreprise : quinze jours plus tard, la classe virtuelle ouvrait sans préalables techniques et financiers.
• Formalisez une vision, une stratégie, missions et objectifs L&D : vous prendrez le temps nécessaire pour établir votre cap et la façon envisagée de l’atteindre sur un cycle de quelques années, le tout validé par un sponsor motivé, Business inclus ! C’est alors votre « soleil » et votre « comment » qui donnent cohérence et sens à l’ensemble des initiatives déployées dans la durée.
• Produisez un plan de vos innovations pédagogiques et digitales : un tel plan aux multiples vertus apportera là encore à vos initiatives en matière d’innovation, consistance, structuration, rationalisation, communication, sélection de vos partenaires et estimation consolidée.
• Appliquez le mode projet sans modération : pensez « conduite de projet », épine dorsale de chacun de vos projets d’innovation et favorisez les « Proof Of Concepts » dont les vertus sont également nombreuses à commencer par le développement d’une culture de l’expérimentation et d’une meilleure tolérance aux échecs, cela d’autant que le POC vous permet d’en limiter les impacts !
• Renforcez votre intelligence financière : ce n’est pas toujours la tasse de thé des départements L&D et pourtant, sans une telle intelligence financière, aucune garantie du passage à l’échelle et de l’industrialisation de vos dispositifs innovants !
• Incarnez (vraiment) les fameuses 5C : ces cinq compétences vous définissent en matière d’action et de savoir-être face aux nombreuses difficultés que vous allez être amenés à rencontrer.
• Insuffler le changement : donnez toute sa place (et pas un « coin de table ») à la conduite du changement qui peut parfois représenter jusqu’à 20 % des budgets projet !
• Pratiquer l’art de la veille : donnez du temps et organisez une veille pédagogique qui seule vous garantira de conserver la longueur d’avance si importante pour déterminer… vos prochaines innovations !

À suivre…