L'idée : cesser de former les enseignants à Moodle en leur présentant des boutons, pour partir enfin de leurs vraies intentions pédagogiques ! C’est le pari d’Alexandre Booms, docteur en sciences de l’éducation et finaliste des Trophées du Digital Learning 2025. Son générateur de « masques pédagogiques », conçu avec un collectif inter-universitaire, replace les besoins des enseignants au cœur de la conception des cours en ligne. Une innovation pensée pour durer, malgré les aléas des projets financés. Un projet Finaliste des Trophées du Digital Learning 2025.
Qu’est-ce qui vous a conduit à renverser l’approche traditionnelle de la formation à Moodle en partant des choix pédagogiques plutôt que des fonctionnalités de la plateforme ?
Alexandre Booms : Durant le confinement, l’université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), nous a confié un état des lieux des usages du numérique lors du confinement. Notre questionnaire était assez précis sur les outils utilisés. Les réponses ont montré que certains enseignants avaient découvert certains outils Moodle grâce à ce questionnaire. Les enseignants associaient donc assez mal les nombreux outils Moodle avec leurs besoins pédagogiques. Un peu plus tard, l’URCA s’est associée à douze autres universités pour répondre à un appel à projets ANR : HyPE-13 (Hybridation pour l’enseignement, le treizième « membre » du consortium étant l’instance de coordination), pour travailler sur les diverses modalités d’hybridation. D’autres universités partageaient ce constat de méconnaissance. Nous avons donc monté un groupe inter catégoriel de travail pour concevoir un système expert informatisé d’aide au choix des outils Moodle. Nous avons fait le choix de partir des besoins pédagogiques des enseignants et de laisser le système proposer un choix d’outils Moodle. Le système produit alors un cours structuré, mais vide de contenu, implémentable dans Moodle. Le service qui permet cette production de structure, ce sont « les masques pédagogiques ».
Le générateur de masques pédagogiques permet aux enseignants de monter en compétence…
Alexandre Booms : Les enseignants ont généralement une idée précise de la façon dont leur enseignement doit se dérouler, mais ne la formalise pas toujours. Pour pallier ce manque de formalisation, « les masques » proposent d’utiliser un formulaire pour élaborer un syllabus de cours. Celui-ci aide l’enseignant de clarifier ses attentes et les modalités de formation qu’il a choisies, et il informe également les étudiants sur la façon dont le cours va se dérouler. Ensuite, l’enseignant peu expérimenté peut choisir entre deux approches. Il peut activer l’agent conversationnel pour l’aider à choisir ses outils à travers un jeu de questions ciblées et de propositions de choix fondés sur les réponses. Il peut aussi se rapprocher de la cellule d’appui pédagogique de l’université et utiliser le formulaire imaginé comme outil de dialogue d’échange entre lui et les ingénieurs pédagogiques. Pour les enseignants plus aguerris, il est possible de créer un masque en sélectionnant directement les outils Moodle, sans passer par la phase de questionnements.
Le dialogue entre enseignants et ingénieurs pédagogiques se révèle essentiel ?
Alexandre Booms : En effet, car nous avons deux experts dans deux domaines convergents, mais distincts, qui doivent communiquer. D’une part, les enseignants, qui connaissent les spécificités de leur public, les contraintes liées à l’organisation de leurs apprentissages et qui maitrisent leur discipline et la façon dont on l’enseigne, mais dont la maitrise technique de Moodle est partielle ; d’autre part, des ingénieurs pédagogiques qui connaissent souvent très bien le fonctionnement des plateformes et des outils intégrés, mais qui ont souvent une vision partielle des particularités des différents enseignements et de leur diversité. Nous avons donc imaginé un outil qui permettait d’instaurer un dialogue explicite aussi bien pédagogique que technique entre ces experts. Il permet alors d’amorcer un travail côte à côte, entre professionnels. Il remplace les démonstrations d’outils dans lesquelles l’enseignant doit se projeter. Il remplace aussi la sous-traitance de médiatisation d’un contenu auquel doivent parfois répondre les ingénieurs pédagogiques. Les « masques » sont conçus comme un moyen de médiation entre ces deux professionnels
Quels retours avez-vous observés sur le terrain ?
Alexandre Booms : On touche ici les difficultés posées par ces projets ANR. Une fois le financement terminé, une partie des équipes est dissoute, une autre partie repart sur des projets plus ou moins affiliés, et une dernière partie fait vivre les produits issus de ces projets. Certaines universités du consortium ont intégré « les masques » à leur pédagogie, d’autres n’avaient plus le personnel nécessaire pour le promouvoir. À l’URCA, l’outil fonctionne actuellement en mode chatbot et pas encore sur le mode côte à côte. Cela s’explique notamment par des changements importants dans les équipes dirigeantes juste après la fin du projet. Cela dit, notre sélection comme Finaliste des Trophées du Digital Learning nous a aidé à promouvoir le projet auprès des personnels qui n’avaient pas suivi le projet. Elle a permis de réfléchir à une politique de déploiement, en particulier via son intégration dans la formation obligatoire des maîtres de conférence nouvellement nommés. Nous sommes donc encore en phase de dynamique de déploiement des masques, avec des retombées sur les enseignants encore peu visibles. Toutefois, une partie des équipes ayant participé à HyPE-13 à l’URCA travaille actuellement sur un autre appel à projets : DeMETeRE (Déploiement de micro-environnements territoriaux pour la réussite étudiante). L’influence de la réflexion antérieure sur les masques pédagogiques et les autres livrables de HyPE-13 est visible. Les ressources créées et les réflexions menées lors de ce projet ont permis de mieux cerner les potentialités des outils distants pour former à l’Université.
Comment envisagez-vous l’évolution de ce générateur ?
Alexandre Booms : Du point de vue individuel, la formation vise généralement une forme d’émancipation de l’individu, aussi, je pense que tout dispositif de formation doit anticiper sa propre disparition vis-à-vis de l’individu formé ! Au niveau collectif, en revanche, la rotation des personnes non formées nous amène à envisager une forme de pérennité de l’outil. Du point de vue technique, il serait intéressant de remplacer le « moteur » de cette formation, fondé sur le principe du système expert, une idée un peu datée de l’intelligence artificielle, par un système à base d’IA génératives, plus moderne et plus souple. Nous sommes en veille sur les appels à manifestation d’intérêt autour de la formation universitaire qui nous permettraient de faire évoluer les « masques » en ce sens.
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