Dans ce 3ᵉ volet de leur série « Andragogie et Digital Learning », Isabelle Dremeau et Michel Diaz explorent comment le design des espaces physiques et numériques façonne profondément notre capacité à apprendre et influence l'engagement des apprenants adultes. De la classe flexible aux Learning Labs, repenser les environnements de formation devient un enjeu stratégique pour les responsables formation. La combinaison du design et du marketing continu, quant à elle, devient partie intégrante de toute stratégie de formation qui cherche à maximiser l'engagement apprenant.
Redessiner l’apprentissage : l’espace n’est plus neutre
Repenser l’espace physique est devenu crucial
Isabelle Dremeau : Savons-nous seulement à quel point l’environnement externe lorsque nous sommes en formation influence nos capacités d’apprentissage ? Ces réflexions sur les espaces d’apprentissage, la structuration de l’espace physique, l’aménagement des lieux s'intensifient aujourd'hui avec une prise de conscience accrue de l'interdépendance entre l’espace physique et les modalités pédagogiques. Il devient de plus en plus évident que la salle de classe classique ne répond plus aux attentes des apprenants actuels. Ceux-ci ont besoin de nouveaux stimuli pour s’investir pleinement dans leur formation. J’ai participé récemment à une expérience intéressante proposée par Tropisme Learning Lab à Montpellier et animée par Marie-Christine Llorca, docteure en Sciences de l'Education qui s’intéresse particulièrement à ces questions. Cette expérience fait écho à la problématique de l’engagement des apprenants, lequel est intimement lié à la notion d’espace d’apprentissage. La qualité de l’accueil et des locaux fait partie des critères évalués dans les questionnaires de satisfaction. De même, les temps de pause constituent un facteur de satisfaction important, car les participants se sentent d’autant plus à l’aise pour échanger et discuter que l’environnement est accueillant, verdoyant, lumineux, agréable et convivial.
Aménager l'espace pour favoriser l’engagement et la réussite des apprenants
Isabelle Dremeau : Est-il utopique de penser que les espaces d’apprentissage créatifs et bien aménagés améliorent la motivation, l’attention et la concentration, et contribuent à un meilleur engagement ? Au contraire, différentes expérimentations également en France s’appuient sur les travaux de modélisation des espaces apprenants de la designer Rosan Bosch. Elle intègre les quatre types d’espaces d’apprentissage (le feu de camp, la grotte, l’oasis et le labo) identifiés dans les années 1990 par David Thornburg, professeur d’université, dans sa pratique et en montre les bénéfices sur les apprenants.
L’essor des Learning Labs et de la classe flexible participent du renouvellement de l’expérience de formation
Isabelle Dremeau : Les modalités pédagogiques profitent de ces aménagements de salle comme en témoigne la mise en place de la classe flexible, qui bien que très peu expérimentée en formation continue propose outils et méthodes qui impliquent l’apprenant tout en le responsabilisant dans un parcours de formation bien délimité en amont par le formateur. De leur côté, les Learning Labs jouent plutôt la carte du numérique : ils proposent des environnements stimulants, flexibles et modulables, dotés d'équipements techniques et innovants. Pénétrer dans un Learning Lab, parcourir l’espace du regard, c’est déjà commencer une nouvelle expérience apprenante : des îlots fonctionnels pour du travail collaboratif, d’autres pour la réalisation audio-vidéo, certains pour de l’exploration scientifique. Un aménagement qui contribue indirectement à faire évoluer nos propres stratégies d’apprentissage. Ce que l’on peut noter de toutes ces approches, c’est que non pas un seul, mais plusieurs facteurs influent sur notre capacité d’apprentissage. Parmi eux, le sentiment de bien-être, la flexibilité et la modularité des espaces sont des éléments clés développant l'interaction, la collaboration, la créativité et l'ancrage des connaissances.
Design, marketing et formation : changer de regard sur l’expérience apprenant
Pourquoi repenser le design des espaces d’apprentissage, qu’ils soient physiques ou numériques ?
Michel Diaz : Isabelle Dremeau vient de mentionner l'importance de bien designer les espaces d'apprentissage. Cela vaut pour les espaces physiques ainsi que pour les espaces numériques. Revenons sur ce terme de design. On utilise souvent (en français) le terme de conception. Entre ces deux termes — conception et design —, on peut constater le même glissement qu’entre formation et Learning. Pour simplifier, conception et formation sont des concepts centrés sur le producteur (concepteur de formation ou formateur) sinon sur le processus de production, alors que design et learning (ou apprentissage) sont centrés sur le consommateur, c'est-à-dire l'apprenant. La notion de design (longuement et puissamment travaillées dans les laboratoires d'Apple) met véritablement l'apprenant au centre du dispositif. Designer un espace d'apprentissage, c'est donc pleinement se mettre à la place de l'apprenant, de ses déplacements, physiques ou en ligne, de ses postures, attentes et besoins ; c'est en faire l'alpha et l'oméga de la formation, dans l'espace physique et numérique, et plus encore dans tout l'environnement pré et post formation. Par exemple, avant la formation : le design considérera comment l’apprenant doit s’inscrire à un programme, comment il pourra y accéder… Pendant la formation : comment répondre à ses questions, voire ses inquiétudes devant un contenu qu’il ne comprend pas (la place du tutorat) ou les enjeux de son évaluation… Après, comment l’encourager à aller plus loin, à construire son parcours de formation à partir des besoins anticipés, et des opportunités apparues dans le fil de son apprentissage ou dans la mise en pratique des savoirs acquis.
Design et marketing de la formation vont de pair…
Michel Diaz : En effet, la notion de design est étroitement liée à celle de marketing. On ne doute plus de l'importance de « marketer » la formation, c'est-à-dire, en particulier, de communiquer sur la formation à venir (lancement de nouveaux programmes, complément, etc.). On sait aussi que le marketing ne doit plus se contenter de capturer l'attention du futur apprenant avant le lancement d’un programme pour l’inciter à s’y inscrire ; mais tout au long de son parcours de formation, d'autant plus qu'une forme de lassitude à apprendre finit toujours pas se manifester : j'ai parlé, voilà des années, de « marketing continu », comme on parle de formation continue. Je plaide pour un « marketing continu de la formation continue » !
Le marketing, ce n’est pas seulement de la communication ?
Michel Diaz : Le marketing ne s'épuise pas dans les seuls enjeux de communication. Parce qu'il intervient bien en amont dans ce que l'on qualifie de marketing stratégique, qui vise à designer (concevoir) des formations répondant doublement aux attentes des entreprises et des apprenants ; au nécessaire alignement les compétences de l’entreprise sur ses marchés et aux aspirations individuelles des salariés en matière d’aisance (voire de plaisir) au travail et d'évolution de carrière. Design et marketing vont bien de pair. Ils doivent être au cœur de toute stratégie d'engager plus avant les apprenants, ponctuellement, dans telle ou telle formation, comme dans le désir plus large de se former en permanence.
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