Premiers concernés par ce changement, donc : les salariés-apprenants, qui ne reconnaissent pas si facilement à un module e-learning le statut d’une action de formation à part entière : manque d’efficacité ? défaut de qualité ? Des préjugés auto-réalisateurs, certes, mais qui mettent aussi la balle dans le camp des concepteurs pédagogiques, à qui il appartient de proposer des contenus à la fois « beaux » et utiles, et qui engagent plus généralement la responsabilité du département formation, notamment quand il s’agit de communiquer sur les autres usages de ces modules : les nouveaux contenus de formation sont autant de ressources pour supporter la performance opérationnelle au jour le jour. Défaut de budget spécifique, absence de stratégie suivie : derrière les discours et une réelle prise de conscience, la conduite du changement reste le parent pauvre du Digital Learning, et les apprenants doivent souvent encore se satisfaire (quand il existe) du seul teasing de lancement du nouveau dispositif.

Concernés plus encore, même si cela ne saute pas immédiatement aux yeux : les formateurs dont l’influence va jouer un rôle majeur dans la réussite ou l’échec du Digital Learning. Rien de plus simple pour un formateur, en effet, que de saper la légitimité du e e-learning quand il anime un cours en salle : d’un côté deux jours passés ensemble à mettre en pratique, échanger, collaborer à des études de cas, participer à des jeux de rôle ; de l’autre, quelques films d’écrans devant lesquels on serait laissé à soi-même. D’autres formateurs choisiront à l’opposé d’acculturer les apprenants à ces nouvelles approches, en réinventant la relation pédagogique grâce au digital, pendant, avant et après le cours en salle. Il n’y a pas de stratégie Digital Learning pertinente qui ne s'appuie sur la pleine adhésion (sinon la neutralité bienveillante) des formateurs.

Cette adhésion est délicate à obtenir. Et les responsables formation hésitent à la traiter au fond. On les comprend. D’abord : c’est sur les formateurs et leurs emplois que le Digital Learning fait peser la principale menace ; le moment viendra où l'on ne pourra plus apaiser ces inquiétudes en se contentant de faire miroiter des créations de poste dans la conception pédagogique ou l’ingénierie de formation (sortie par le haut), par exemple, ou le tutorat (sortie par le bas, si l’on en croit la perception qu’en ont nombre de professionnels eux-mêmes). Ensuite, parce que réfléchir à l’avenir du formateur, c’est aussi réfléchir à celui du responsable formation ! Car tous les métiers de la formation sont revisités, pas seulement celui de formateur.

Du coup les professionnels de formation se trouvent dans l’inconfortable situation d’être juge et partie, alors qu’on leur demande de promouvoir des dispositifs digitaux qui portent en germe la destruction d’une partie de leurs métiers. C’est l’impensé du Digital Learning : la balance (quantitative et qualitative) entre les métiers amenés à disparaître et ceux qu’on voit lentement émerger sous nos yeux ; les missions et la forme des nouvelles organisations de formation plus agiles, plus légères et proches du terrain, à l’intersection du business et de l’expertise formation… Au-delà des traditionnels observatoires obsolètes à peine publiés, le secteur de la formation a tout tout intérêt à démarrer une réflexion lucide et courageuse, ancrée dans les nouvelles réalité du terrain, sur ses emplois.

Michel Diaz

Tribune initialement parue dans Focus RH