Dans ce deuxième volet de la série « La veille en formation », Isabelle Dremeau et Michel Diaz explorent les stratégies et les outils qui permettent de passer d’une veille diffuse à une démarche organisée, active et créatrice de valeur pour l’entreprise.
Quand on pense à la veille, on pense surtout aux outils numériques ?
Isabelle Dremeau : Dans les organisations où l'on discute de la veille en formation, j’observe qu'il y a souvent une multitude d’outils numériques. Ces outils constituent autant de points de collecte d'informations pour les activités de veille, chacun nécessitant de se connecter, de s’identifier et de paramétrer ses sources. Malgré leur nombre, chaque outil semble légitime, parce qu'il répond à un besoin particulier ou qu'il s’est ancré dans les habitudes de consultation qu'en ont les utilisateurs. Ainsi les agrégateurs de flux RSS (Feedly, Inoreader, Feeder…), qui centralisent l’actualisation des sites, sont assez fréquemment utilisés. Ils permettent de mettre en place des filtres pour gérer le flux d’informations journalières qui arrivent sur nos écrans ; ils nécessitent toutefois une certaine réflexion en amont et un paramétrage fin pour éviter de se laisser envahir par les notifications d’articles ou de podcasts.
Dans ce mouvement, l’IA apparaît comme un “game changer”…
Isabelle Dremeau : Certes, on peut espérer que l’intelligence artificielle viendrait simplifier ces processus grâce à l’automatisation. Ce qu'elle permet effectivement dans certains outils existants (Feedly Ai) pour synthétiser, regrouper et hiérarchiser les informations ! Mais la nouveauté viendrait plutôt du côté des agents de veille, créés sur les plateformes d’IA par les utilisateurs eux-mêmes. Je fais référence ici aux GPTs personnalisés (dans ChatGPT) ou Gems (de Gemini), réservés à une veille personnalisée et ciblée. Ces agents de veille IA sont paramétrés pour collecter et traiter de l’information sur un champ défini (un secteur d’activité, un type d’innovation pédagogique, un sujet d’actualité) qui aura été choisi par le responsable de veille ou le formateur. Ils produisent ensuite des résultats sous forme d’analyses rédigées et structurées, prêtes à être diffusées ou retravaillées. Ces agents s’avèrent particulièrement utiles pour une veille plus ciblée, plus réactive et moins chronophage.
La question de la fiabilité des sources ne manquera pas de se poser…
Isabelle Dremeau : Cette question, comme celle de l’actualisation des données sur lesquelles reposent ces services, est, en effet, cruciale. Au passage, il ne faut pas négliger l’optimisation de l’existant, plutôt que d'aller systématiquement vers la nouveauté. Je pense à Glowbl, par exemple, cette plateforme de visioconférence collaborative peut devenir un véritable espace de veille partagée lorsque l’interface le permet : utilisé en mode synchrone, lors d’ateliers ou de réunions collaboratives, mais aussi en mode asynchrone, pour permettre à chacun d’accéder aux ressources et aux besoins de veille à tout moment. L’IA y est intégrée et elle assiste les utilisateurs dans la réalisation de déroulés de séance ou pour une retranscription écrite. Si l’on doit penser efficacité de la veille, on voit que l’intervention humaine est incontournable. Enfin, on notera que la collecte des informations, c'est bien, mais que cela ne suffit pas ! Une réflexion stratégique sur l’identification des outils dans le système de veille avec les axes de mutualisation et de collaboration est un préalable à toute mise en place technique.
Isabelle insiste sur la nécessité d'une stratégie…
Michel Diaz : Elle a raison ! Et je partage pleinement ses remarques sur les outils de veille destinés aux professionnels de formation, et sur quelques bonnes pratiques dans leur usage. Au fond, les activités de veille peuvent finir par coûter cher pour un résultat médiocre si l’on n’est pas muni d’une stratégie. C’est-à-dire de la réponse aux questions (habituelles) : la veille : pourquoi ? acteurs impliqués ? quand ? où ? comment ? avec quelles ressources ? (Le “QQOQCCP” des journalistes !) Ces questions sont liées, par exemple celles du pourquoi et des ressources : si l’on mène une veille qui vise à optimiser le budget formation (par exemple, avec un nouvel outil destiné à réduire les coûts du présentiel ou des abonnements à la plateforme de formation utilisée dans l’entreprise), mieux vaut dimensionner les ressources consacrées à la veille en fonction des gains attendus… sauf à ce que ces économies soient dévorées par les activités de veille !
Pratiquement ?
Michel Diaz : Force est de constater que la plupart des services formation font l’impasse sur cette approche, se contentant de mener des opérations ponctuelles, notamment via un salon interne ou des “learning days” où ils présentent leurs réalisations et les technologies utilisées à l’ensemble des collaborateurs de l'entreprise. C’est dommage, car la réflexion stratégique, menée collectivement par l’équipe L&D, n’éclaire pas seulement la veille : elle touche rapidement à la question de la raison d’être du service formation et de la valeur qu’il veut créer dans l’entreprise. Sans oublier qu’elle conforte les professionnels de formation (dans le champ peu risqué de la veille) dans la “pratique stratégique”, laquelle complète utilement leur pratique du terrain et des opérations traditionnellement attachées aux activités formation.
Pour autant, disposer d’une stratégie ne doit pas dispenser chacun de consacrer un effort à la veille, devenue essentielle à l’employabilité dans le secteur de la formation…
Michel Diaz : En effet, les deux ne sont pas incompatibles, au contraire : la veille est une activité à la fois individuelle et collective, chacun devant réagir aux découvertes de ses collègues et présenter ses propres découvertes. Car c’est ce collectif qui jugera de retenir ou pas une innovation présentée. Pour en revenir aux outils, comme le rappelle Isabelle, on ne saurait sous-estimer la part que l’IA est amenée à jouer (qu’elle joue déjà), en particulier via les agents IA. On peut se demander si les jours des moteurs de recherche, qui ont été tellement utilisés dans la veille, ne sont pas comptés alors que les portails IA (ChatGPT, Claude, Google Gemini, etc.) sont en train de s’imposer irrésistiblement.
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