Les dispositifs de formation qui font un usage massif du digital sont souvent dits "orientés apprenant". On signifie par là, dans l'entreprise, que le salarié endosse dorénavant la responsabilité de ses apprentissages. Si ce principe n'est pas en totale rupture avec ce qui prévalait dans les dispositifs traditionnels, force est de constater que le Digital Learning le renforce considérablement, dans la mesure où l'exigence d'autoformation s'accroît avec le développement des modalités asynchrones. Une partie toujours importante des parcours de formation consiste en effet à suivre, avant ou après l'éventuel regroupement présentiel, des modules e-learning, rapid learning ou autres serious games. Les dispositifs digitaux gagnant en fiabilité technique, sur fond de baisse considérable du coût de production des ressources pédagogiques multimédia, les entreprises poussent toujours plus à privilégier le 100% e-learning (tutoré si nécessaire). Cette exigence provient fréquemment du "business" (métiers) contraint de s'aligner toujours plus vite sur les marchés : un réseau de distribution, par exemple, doit être formé avant l'arrivée d'un nouveau produit dans les points de vente.

L'orientation apprenant du Digital Learning a donc cette conséquence, dont on a tardé à prendre la mesure : le dispositif de formation fonctionnera si le salarié s'engage (pleinement) dans sa formation. "Engagement" : un mot dont la fréquence a crû de façon vertigineuse dans les échanges, sur le Web et ailleurs, touchant à la pédagogie et aux conditions de réussite du e-learning. Un concept proche de celui de motivation, qu'on utilise plus volontiers en France, alors que la motivation semble surtout ressortir d'un état d'esprit, quand l'engagement serait susceptible d'être observé en action (par exemple en situation de travail). Une fois que les problèmes techniques (taille de la bande passante, postes clients, etc.) sont résolus, que les ressources pédagogiques sont censées répondre aux attentes des métiers et des salariés, la grande question à laquelle sont confrontés les responsables formation (corporate ou dans les métiers) est donc celle de l'engagement des apprenants : comment le renforcer ? Une question délicate qui n'a pas de réponse univoque, mais qui doit prendre en compte l'existence des multiples objets qui se disputent l'attention des apprenants. Ce ne sont plus les biens ni les services qui se font rares dans nos économies occidentales, mais l'attention des consommateurs sans cesse balottée d'un objet à l'autre.

Retenir l'attention de l'apprenant dans un mouvement généralisé de dispersion, c'est bien le préalable à toute réflexion sur l'orientation apprenant du Digital Learning. Un domaine dans lequel les designers de formation sont loin d'être démunis. Outil : les trois ou quatre principes, simples et opérationnels, de l'andragogie (le modèle de Knowles, ou un équivalent) - sont-ils effectivement appliqués dans les formations délivrées au sein de l'entreprise ? Chacun de ces principes - celui touchant par exemple à l'implication d'un adulte dans l'élaboration de sa stratégie d'apprentissage - peut être concrètement mis en pratique dans un processus de conception des formations rénové. Autre angle de vue : l'observation des modes de consommation Web et des objets qui savent retenir l'attention des "consommateurs" - la nature des ressources utilisées, par exemple, le temps moyen passé à jouer une vidéo, lire un texte ou naviguer sur un portail -, cela dit assez quelles précautions les responsables formation doivent prendre dans le design de leur portail de formation et des ressources digitales auquel il donnera accès… Sinon pour gagner durablement, au moins pour éviter de perdre aussitôt l'attention des salariés apprenants ! Affaire de bon sens.

Michel Diaz