L’analyse annuelle 2024 de l’usage mondial des outils d’intelligence artificielle livre une photographie rare : plus de 101 milliards de visites enregistrées, dont 40 milliards pour ChatGPT. Derrière ces chiffres bruts, les services formation s'interrogeront. Notamment sur la pratique des entreprises françaises : où se situent-elles dans ce maelström d’usages ?
Les IA ne demandent pas la permission. La mécanique est bien huilée : un outil percute les usages, s’installe dans les routines, puis transforme les compétences sans tambour ni trompette. ChatGPT en est l’illustration la plus flagrante. Avec 40 milliards de visites en 2024, l’outil d’OpenAI domine l’écosystème de l’IA générative, absorbant 39,56 % du trafic mondial recensé sur plus de 10 000 outils. C’est 15,1 milliards de visites de plus qu’en 2023, et 23 fois plus que son concurrent direct Gemini. Un rapport de force qui ne manque pas d’inquiéter Google, dont le moteur de recherche se voit progressivement contourné au profit d’une interface conversationnelle qui répond directement aux questions. ChatGPT devient le point d’entrée vers la connaissance, là où Google organisait les chemins. De là à dire que ChatGPT est déjà la première plateforme de formation au monde — comme on l’avait dit jadis de Google, non sans exagération — il n’y a qu’un pas. Mais qui osera encore affirmer que les pratiques d’apprentissage n’ont pas basculé ? Ces données, tirées du rapport d'aitools.xyz*, ne laissent guère de doute : les usages se construisent sur le terrain, en dehors de toute stratégie centralisée.
Un marché mondial sous tension créative. Canva, Google Translate, JanitorAI, Gemini… La file des outils les plus utilisés révèle la nature composite de l’écosystème IA. Traduction, design, assistant conversationnel, recherche documentaire : chaque segment cherche sa place, mais tous convergent vers une promesse commune d’efficacité individuelle. Faut-il s’en inquiéter ? Pas forcément. Mais le formateur n’a plus le luxe d’ignorer la dimension personnelle des apprentissages. Derrière la fréquentation massive de ces outils, c’est une autonomie cognitive qui se dessine… parfois en contournant les dispositifs maison. Dans ce paysage, les générateurs de texte ont conquis un véritable empire : plus de la moitié (53,26 %) du trafic mondial est capté par des outils de génération de texte. Brutal mais cohérent ! Le texte est encore le vecteur prépondérant de la production intellectuelle, des documents internes aux échanges clients, en passant par les mails, comptes rendus, évaluations et (au hasard) livres blancs ou content marketing. Que la machine s’invite dans ces zones de production devrait alerter tout responsable formation qui se préoccupe de "literacy", d’esprit critique, sinon de déontologie ou d’expression professionnelle. D’autant plus que ces outils ont une fâcheuse tendance à contourner la formation : l’accès direct, gratuit, illimité à une palette d’outils hyper performants modifie les règles du jeu. Un collaborateur n’a, par exemple, plus besoin de s’inscrire à un module sur la rédaction de synthèse ou la conception graphique. Il ouvre Perplexity ou Canva : c’est du « tout cuit » ! Les chiffres du rapport le confirment : JanitorAI, Gemini, Perplexity connaissent une croissance à trois chiffres. En creux, ce succès révèle donc un déport massif des apprentissages vers des outils à portée de clic, hors radar des RH.
La France, écartée du podium. Avec seulement 17,26 % du trafic mondial, les États-Unis dominent largement, suivis par l’Inde et le Brésil. Pas de trace de la France dans le top 5. L’info est à manier avec précaution : elle reflète avant tout la volumétrie de trafic, pas la qualité des usages. Reste que les responsables formation hexagonaux auraient tout intérêt à explorer ces données pour jauger où en sont leurs publics internes, et avec quels outils ils interagissent vraiment. À moins de penser que Canva, ChatGPT ou Gemini sont des sujets de veille, et non des réalités pédagogiques.
L’outil déjà installé, la compétence pas encore. Un paradoxe se dessine. Le succès d’un outil ne garantit en rien la compétence de ses utilisateurs. ChatGPT est massivement utilisé, mais rarement bien utilisé. Ce décalage entre fréquentation et maîtrise est au cœur de l’enjeu formation. Il ne s’agit pas d’empiler des tutoriels, mais d’installer des usages réfléchis, contextualisés, éthiques. Si l’outil est déjà dans les mains, il reste à construire la tête qui va avec. En somme, on notera que le panorama mondial, publié par aitools.xyz, pose une question qui pourrait fâcher : quels outils IA sont vraiment utilisés dans les entreprises ? Les Directions Formation sont-elles connectées à ces usages réels, ou naviguent-elles à vue, entre PowerPoint, LMS et portails maison ? Le moment est venu de vérifier, sans préjugés ni jargon, si les pratiques d’IA des collaborateurs s’accompagnent de compétences formées ou d’habitudes sauvages. Enfin, on mentionnera que le trafic global a culminé au quatrième trimestre 2024, ce qui laisse entrevoir une année 2025 encore plus marquée par ces usages. De l'urgence, pour les services formation, de sonder le terrain. Et, de voir si l’IA est d’ores et déjà une question de terrain dans leur entreprise.
*Pour en savoir plus : Global AI Adoption Statistics & Trends
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