Faute d’un vivier suffisant de primo-managers, les entreprises s’exposent à un déficit de relais, de transformation et de cohésion. Or, les obstacles s’accumulent : manque d’appétence, déficit de compétences comportementales, dispositifs internes décalés. La formation peut-elle devenir l’architecte d’un flux continu, stratégique et durable ? C’est l’un des enjeux que révèle avec acuité le Baromètre international Cegos 2025, mené auprès de plus de 4 000 primo-managers et 400 responsables RH dans 10 pays. Ce baromètre dresse un constat sans détour : la relève managériale ne va plus de soi et impose une révision profonde des parcours d’identification, de préparation et d’accompagnement. La formation peut-elle devenir l’architecte d’un flux continu, stratégique et durable ?
Un flux vital pour les organisations
La pénurie de primo-managers n'est pas un accident conjoncturel, c'est un symptôme structurel. Une faille dans la continuité managériale qui menace, à terme, l'agilité et la capacité à se transformer des entreprises. Pour une ETI comme pour un grand groupe, disposer d'un flux régulier de primo-managers, motivés, formés et alignés sur les valeurs de l'organisation, est une condition de survie : sans relais opérationnels, les transformations stratégiques s'enrayent, les collectifs s'effilochent et les talents fuient. Or, d'après le Baromètre international Cegos 2025, ce flux est aujourd'hui sous tension. En France, 40 % des DRH déclarent rencontrer des difficultés à recruter ou identifier de futurs managers. En cause, un déficit de compétences comportementales mais aussi, plus profondément, un manque d'appétence pour le rôle.
Ce qui bloque dans le recrutement interne
Ce qui bloque, ce n'est pas l'offre de formation, mais le pipeline de volontaires. Le chiffre se passe de long commentaire : en France, 56 % des collaborateurs identifiés comme à potentiel ne souhaitent tout simplement pas devenir managers. Et ceux qui font le pas y vont d'abord pour des raisons pragmatiques : meilleure rémunération, envie de résoudre des problèmes, contribution à la performance. Contrairement à certaines idées reçues, l'aspiration des collaborateurs à devenir managers ne s'inscrit pas prioritairement dans une logique de progression hiérarchique, note Laurence Ballereaud (Cegos). Ce décalage entre les perceptions RH et les moteurs réels des candidats potentiels alimente une forme d'inertie dans les dispositifs internes de promotion. Sans oublier les entreprises qui continuent de promouvoir des experts au mérite, sans considération suffisante pour leur aptitude à encadrer, parfois sans même leur consentement.
Un rôle spécifique, des compétences à construire
Mais même quand la promotion s'opère, tout n'est pas réglé. Le primo-manager n'est pas un manager à moitié formé : c'est un professionnel dans une phase critique de bascule. Ce qui fait la différence, ce n'est pas tant l'expertise que la posture. Selon le baromètre, les RH valorisent d'abord les compétences humaines et relationnelles (74 % en France), bien avant l'expertise métier (32 %). On attend d'un primo-manager qu'il incarne le collectif, qu'il structure, qu'il motive, qu'il régule. Le leadership, la communication claire, la prise de décision rapide : voilà le triptyque des priorités de développement. Ce qui le distingue d'un manager confirmé, c'est moins la nature des compétences que leur niveau d'automatisation et leur ancrage. Le primo-manager a besoin de se les approprier à travers des situations, des retours, des étapes. Il ne les possède pas encore, il les construit.
La formation au service d'une dynamique permanente
C'est ici que la formation doit sortir de son rôle habituel de prestataire d'offres pour endosser l'objectif de continuité managériale. Créer un flux, c'est d'abord identifier les bons profils, les motiver, les préparer, les tester, les engager. C'est aussi assurer un accompagnement dans la durée, à chaque seuil : désir, nomination, difficulté, stabilisation. La réussite des promotions internes repose sur la capacité à repérer, en amont, les collaborateurs susceptibles de dépasser leur seule expertise technique pour adopter une posture de leader, rappelle Laurence Ballereaud. Cela suppose une articulation fine entre RH, managers confirmés, et responsables formation, qui doivent penser ensemble les parcours. Le baromètre révèle que 56 % des primo-managers ont bénéficié d'une formation en amont de leur prise de poste, et que les formations post-nomination restent très fréquentes en France (51 %).
Capitaliser sur l'onboarding pour les primo-managers
Dans ce contexte, les avancées récentes de la formation onboarding peuvent jouer un rôle clé. Ce qui valait pour des nouveaux arrivants peut bénéficier à des primo-managers : formats courts, tutorat et mentorat, pratiques collectives, multimodalité, coaching ciblé. Le baromètre montre que les groupes d'échange de pratiques sont très largement déployés en France (55 % des RH les mobilisent), et que 36 % proposent du coaching individuel. Il ne s'agit plus de faire "monter" en formation mais de faire "grandir" en situation. La différence est de taille, et elle engage directement le champ d'action de la formation : animer une dynamique d'apprentissage managérial continue, ancrée dans le réel, soutenue par la pairagogie et la pratique réfléchie. L'enjeu n'est plus de répondre à une commande ponctuelle, mais de contribuer activement à la création, au renouvellement et à la fidélisation d'une élite managériale pérenne.
|