Après avoir exploré les fondements de l’andragogie, l’apport du numérique et l’influence du design sur l’apprentissage, ce dernier volet signé Isabelle Dremeau et Michel Diaz interroge une promesse souvent brandie, mais rarement tenue : mettre l’apprenant au centre. Mutation des rôles, nouvelles compétences, posture revisitée du formateur… Une transformation profonde qui ne cesse de redessiner les contours de la fonction formation en entreprise.
L’apprenant au centre, enfin ?
Michel Diaz : L’idée que l’apprenant soit au cœur de sa formation semble aujourd’hui aller de soi. Pourtant, ce n’était pas toujours le cas. Il y a encore peu, un salarié pouvait être envoyé en formation sans qu’on lui demande son avis sur les contenus, les modalités ou les dates. Le formateur occasionnel, parfois expert technique sans compétence pédagogique, et le processus de formation pesaient bien plus que l’apprenant lui-même. La rareté des ressources (temps du formateur, coût d’une salle) renforçait ce déséquilibre. Avec la transformation numérique de la formation, cette hiérarchie s’est renversée. L’accessibilité des contenus, la diversité des formats et la généralisation des plateformes ont redistribué les cartes. L’échange nourri avec Isabelle Dremeau dans cette série d’articles l’a bien montré : tous les métiers de la formation ont été touchés. Il aura fallu du temps pour intégrer ces mutations (et ce n’est pas fini).
De nouveaux métiers, ou de nouvelles casquettes ?
Michel Diaz : Parmi les évolutions notables, le rôle de “marketeur de la formation” a émergé. Dans un monde où la formation était rare et valorisée, il n’était pas nécessaire de la « vendre ». Mais l’abondance de contenus en ligne, de meilleure qualité et plus accessibles, a tout changé. Il faut désormais attirer les collaborateurs vers les offres internes, les distinguer dans une jungle concurrentielle. Ce nouveau rôle n’est toutefois pas arrivé seul. Il a suivi d’autres fonctions, nées du numérique : concepteur multimédia, administrateur de plateforme (LMS), architecte de parcours, capable d’orchestrer une grande diversité de modalités. Tous illustrent un basculement de la fonction formation vers une approche plus technique, plus stratégique, plus orientée vers l’utilisateur final. Mais faut-il parler de nouveaux métiers ou de compétences à intégrer ? La montée en puissance de la compétence financière en est un bon exemple d’une nouvelle compétence à intégrer dans une fonction déjà existante. À présent, un responsable formation doit être capable de bâtir un business plan, d’évaluer la rentabilité d’un investissement dans une plateforme ou des contenus. La logique d’investissement remplace progressivement celle d’exploitation. Autre exemple de cette évolution par ajout de compétences : la culture des métiers de l’entreprise. Pour accompagner des métiers qui gagnent en autonomie de formation, les services L&D doivent en comprendre les logiques, les contraintes, les objectifs. Cette proximité alimente une culture de l’impact, indispensable pour mesurer l’effet de la formation sur la performance opérationnelle.
Une transformation à saisir par les directions L&D ?
Michel Diaz : Ces évolutions répondent toutes, de près ou de loin, à une même exigence : renforcer l’engagement des apprenants. Le marketing y contribue directement, la culture financière et l’évaluation aussi, même si c’est moins intuitif. Pour les responsables formation, ces mutations sont autant de leviers. Elles peuvent leur permettre de rendre leur action plus visible, plus stratégique. La fonction formation dispose aujourd’hui d’un potentiel inédit, fruit d’une lente accumulation de responsabilités, de savoir-faire, de technologies. Encore faut-il avoir l’audace de s’en emparer.
Revenons à l’engagement apprenant : comment le renforcer concrètement sur le long terme ?
Isabelle Dremeau : Michel Diaz l’a souligné : “Le marketing continu de la formation continue” associé à des pratiques pédagogiques adaptées apportera sans aucun doute à soutenir l’engagement apprenant dans la durée. Un travail sur le design de la formation et une communication avec une offre visible et attractive permettent déjà de lever les premiers freins d’inscription. Viennent ensuite pratiquement les nouvelles orientations dans les pratiques du formateur qui convaincront les apprenants de la valeur ajoutée de la formation lors de laquelle ils pourront mettre en avant leur expérience et apporter des éléments de co-construction donnant du sens à leur participation.
Le rôle du formateur est-il aujourd’hui repensé à l’aune de ces transformations ?
Isabelle Dremeau : Parmi les professionnels de la formation, le formateur se voit dorénavant investi de différents rôles : architecte, accompagnateur, vérificateur de contenu. Ce dernier rôle est d’autant plus important que l’IA - à considérer comme un outil numérique comme les autres — est omniprésente et s’impose dans toutes les phases de la formation. La posture d’accompagnement du pédagogue est également renforcée, car, comme formateur, il doit représenter le lien humain entre les réponses fournies par l’IA et l’apprenant. Ce qui implique, par exemple, d’aider les apprenants à développer leur esprit critique face aux productions de l’IA et de les accompagner dans l’utilisation éthique et responsable de ces outils, mais cela signifie aussi que les formateurs soient régulièrement formés. Ils doivent eux-mêmes comprendre le fonctionnement, les avantages et limites de l’IA en formation, ses avancées pour avoir le recul nécessaire pour gérer son utilisation. Toute personne enseignante se doit d’être vigilante quant à la confidentialité des données des apprenants, détecter la présence des biais et des hallucinations générées par les IA productrices de contenus.
Comment les formateurs peuvent-ils faire face à la complexité croissante de leur mission ?
Isabelle Dremeau : En effet ! On le voit tous : entre l’IA, les outils numériques et les attentes qui changent, engager un apprenant devient complexe. Le formateur doit faire preuve d’agilité et de créativité. La veille technopédagogique peut lui être d’une grande aide, car elle apporte des témoignages de bonnes pratiques et de résultats de tests sur les outils. Disposer d’un système de veille bien structuré est un vrai gain de temps : le cadre permet de ne pas se perdre dans la masse d’informations, de réfléchir en continu à ses besoins, de tester des solutions adaptées et de mieux orienter ses choix en s’adaptant facilement avec un système flexible. Ainsi, les structures prennent des décisions éclairées plus sereinement, en s’appuyant sur ce qui a déjà été expérimenté ailleurs et sans passer à côté d’outils ou de tendances innovantes. Mais peut-on réellement parler de nouvelle posture du formateur ? N’est-ce pas simplement une évolution des aptitudes pédagogiques acquises qui se sont adaptées face au changement ? Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur de ce changement, et surtout la rapidité à laquelle il s’impose à tous les professionnels de la formation et à laquelle il faut faire face, en toute confiance !
Les précédents volets :
Andragogie : le retour aux fondamentaux de la formation pour adultes
Comment le numérique outille l'andragogie
Redessiner l’apprentissage : l’espace n’est plus neutre
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