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Le poste de travail est mort (sa fiche aussi). Économie du savoir accélérée oblige : figer les rôles reviendrait à ralentir l’action. La compétence s'érige en seule boussole — à condition qu’elle se voie, qu’elle s’éprouve, qu’elle s’incarne. Place à l’agir, performance vivante et observable, qui relie formation, collectif et… marché.
La fin du poste comme unité de travail
La mutation est inévitable. Selon le dernier rapport du World Economic Forum : « les employeurs estiment que 39 % des compétences « cœur » des salariés changeront d’ici 2030 » (World Economic Forum). Id est : presque 4 salariés sur 10 vont devoir faire évoluer ce qu’ils savent faire, dans un univers où les intitulés de poste ne capturent ni l’agilité requise, ni la rapidité de déplacement entre tâches, projets ou activités transversales. La compétence s’affirme là comme la clé, pour peu qu'elle n'en reste pas au stade du slogan. Car la compétence, si elle reste abstraite, ne résiste pas aux choix opérationnels : elle devient une coquille vide. Il ne suffit pas de dire : « nous sommes compétence-centrés » ; il faut que la compétence se manifeste, se mesure, se voie dans les actions, les résultats, les interactions. C’est pourquoi il est vraisemblable que la compétence finisse, elle-même, par être remise en cause ; non dans son principe, mais dans sa formule : au-delà de la compétence, c’est l’agir qui devient l’unité pertinente du travail. Un salarié, un collectif, ne se décrivent plus seulement par ce qu’ils savent, mais par ce qu’ils font. Passage est subtil mais décisif. Dans ce nouveau paradigme, le « poste » défini, figé, hiérarchisé est inadapté. Le marché exige désormais : « je fais ceci, je peux faire ceci, je peux changer ». Par ailleurs, la compétence n'est pas exempte de faiblesse : trop souvent mot-valise, catalogue bien rangé, mais non actionnable ; on crée des référentiels, des matrices, et puis… rien ne bouge. L’“agir”, quant à lui, est observable, mesurable, concret. C’est le faire avec : comment la personne agit dans son écosystème, face aux clients, aux innovations, aux imprévus.
Former pour faire
Pour un décideur formation-RH, ce basculement implique de sa copie…
#1 Redéfinir l’offre de formation comme un support de “faire” plutôt que de “savoir”
La formation classique vise encore trop souvent à délivrer un contenu, à transmettre des compétences formalisées, comme si les salariés devaient cocher des cases. Au contraire, les modules doivent désormais viser directement l’agir : simulation, immersion, mise en situation, projets réels, travaux d’équipe transverses. On forme non pas pour acquérir une compétence, mais pour agir dans un nouveau contexte. Cela suppose que l’organisation de la formation soit intégrée dans les flux de travail et de projet, non isolée dans des catalogues écrits à l'avance, qu'elle soit véritablement contextualisée au travail, dans un lien toujours plus étroit avec lui.
#2 Mettre en place un système de pilotage centré sur l’agilité, non sur l’intitulé
Les tableaux de bord RH qui restent centrés sur les intitulés de poste, sur les compétences acquises (dans les catalogues), ne disent rien de l’agilité réelle du collectif. Il faut mesurer : « Quels sont les nouveaux actes posés ? Comment les équipes réagissent-elles à des situations inédites ? Quels nouveaux “faire” sont apparus ? ». Le rapport du WEF révèle que, parallèlement au changement de compétences, « 50 % de la main-d’œuvre a participé à une formation intégrée à une stratégie d’apprentissage à long terme » dans les pays analysés. La logique “former pour faire” serait déjà en train d’émerger. Pourtant, peu d’organisations vont jusqu’à redéfinir le poste, la compétence, en fonction de ce “faire”.
#3 Favoriser une culture de l’adaptabilité plutôt que de la conformité
Quand la compétence est vue comme la conformité à une norme, elle devient un carcan. Quand elle est vue comme un réservoir de capacités d’action, elle permet l’évolution, l’apprentissage continu, l’expérimentation. En réalité, dans le monde devenu fluide, le vrai atout est de démontrer que l’on sait agir dans l’incertitude, se repositionner, collaborer autrement, créer de nouveaux savoir-faire. Le rapport de l'OECD éclaire ce point : moins de 20 % des entreprises avaient supprimé l’exigence de diplôme pour élargir le vivier de talents, mais 62 % déclaraient vouloir proposer du reskilling/upskilling. Progression en vue, mais cette transformation proprement culturelle a pris du retard.
Du poste à l’écosystème d’action
Illustration : imaginons une entreprise de services qui jusqu’à présent fonctionnait avec des intitulés “Chargé de clientèle”, “Analyste données”, “Formateur interne”. Elle décide dorénavant d’écrire non pas un poste, mais un portefeuille d’agir pour la personne : “répondre aux besoins clients en temps réel”, “connecter des insights données aux opportunités terrain”, “faciliter l’apprentissage par les pairs et l’innovation rapide”. Le rôle n’est pas figé par un intitulé, mais défini par une fonction d’action. La formation ne propose pas un catalogue de modules standard mais une plate-forme de développement de scénarios d’action, des temps d’expérimentation, des communautés d’« agir ensemble ». Le pilotage RH ne suit pas « pourcentage des salariés certifiés » mais « nombre de nouveaux actes mis en œuvre », « évolution des interactions entre métiers et clients », « mobilité interne orientée action». Cette perspective est d’autant plus indispensable que le concept de “compétence” montre déjà ses limites : trop statique, trop centrée sur la personne et non sur l’écosystème, trop tournée vers l’acquisition plutôt que vers l’exercice. Nous entrons dans une économie où ce que l’on fait importe plus que ce que l’on sait formellement. Le terme « agir » n’a rien d'une mode managériale, il est un indicateur de pertinence pour le temps présent. Bien sûr, cela ne signifie pas rejeter toute compétence ou tout référentiel : les compétences demeurent utiles comme point d’appui, mais c’est leur expression dans l’action qui fait sens et crée de la valeur.
Que font-ils avec ces compétences ?
Pour les responsables formation-RH, la question n’est plus : « nos collaborateurs ont-ils les compétences requises ? », mais : « que font-ils avec ces compétences ? Comment les transforment-ils en actions visibles et mesurables ? » On sait le risque souvent couru de tomber dans l’abstraction techno-formatrice, réduite à des indicateurs universels type “ROI de la compétence” ou “taux de certification”. Alors que ces derniers peuvent masquer l’essentiel : l’insuffisance d’agir et la stagnation de la valeur. Il faut résister à ce piège : un indicateur universel est séduisant, mais ne capture pas la diversité des contextes, la singularité des équipes, la richesse des « faire ». Le temps semble donc venue pour les L&D de se repositionner comme orchestrateurs de “faire”, de faire tomber les murs des intitulés de poste (il y faudra du courage, mais le jeu en vaut la chandelle) pour faire surgir des écosystèmes d’action où chaque personne, chaque équipe, chaque client est connecté à ce qui compte : produire, innover, évoluer. Cette métamorphose complexe est vitale pour que la formation cesse d’être un coût figé et devienne un levier de mobilité, de performance et de sens. Et dans ce monde fluide, c’est l’agir — visible, concret, aligné au marché — qui fait la différence.
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