Obtenir de bonnes notes, réussir ses examens, figurer en tête de classement, viser l’appartenance à une élite dont les critères tiennent de l’entre-soi… Tout ce qui a façonné l'image de l'excellence académique depuis deux cents ans, a volé en éclat avec l'arrivée de l'intelligence artificielle.

Certaines entreprises s'évertuent aujourd'hui à créer des « anti-ChatGPT », des « validateurs d'humain » ou encore des « analyseurs anti-triche », tandis que d'autres, embrassant cette technologie d'IA, entament un long processus neuroplasticité. Ces applications anti-triche en cours de développement sont, à vrai dire, des cris d'alarme visant à figer le monde tel qu’en lui-même ; elles supposent que rien — de l'évolution du monde, de l'éducation à l'égalité des chances ou l’emploi, pour ne prendre que ces exemples — n’a besoin d’être repensé… Tout va très bien, Madame la Marquise !

Armé d'un Master et d’une quinzaine d’années d’expertise technique, je serais donc biffé d’un trait par un assistant numérique gratuit et accessible à tous ? Alors que des personnes que le marché du travail avait jugées peu qualifiées se sont muées en illustrateur, journaliste, écrivain, juristes… Parce que le prodige avec la technologie, c'est qu’elle instaure une nouvelle égalité. Face à l’IA générative, l’antique question se pose de nouveau : quelle place pour l'humain? Ou, plus précisément, quel est le nouveau champ de bataille, toujours plus exclusif et discriminant, de « l'excellence » ?

L'IA (super héros ? Titan numérique ?) peut nous aider à totalement remettre à plat la façon dont nous utilisons notre cerveau… Potentiel de « reset » ? Mais les cinéphiles ne connaîtront sans doute pas le soulagement d’une fin du film à ma manière de Terminator ou d’IRobot ! Paradoxalement, elle rend, en effet, possible ce que personne n'avait jusque-là envisagé : le passeport d’un travail centré sur l'humain. En prenant en charge tout ou partie de ces travaux rébarbatifs ou de ces missions à la logique stérilisante, l’IA aura — c’est le pari que je souhaite tenter, avec les garde-fous de rigueur — la formidable faculté de nous ramener à l’humain, ouvrant la voie à des missions infiniment plus complexes et gratifiantes. 

La Finlande se distingue d'autres nations, pour n’avoir développé aucun système « Anti-Triche ». On n’en sera pas autrement surpris d’un pays qui, mettant de longue date l'accent sur le développement global de l'individu, valorisant le bien-être des étudiants, l’égalité d’accès à l’éducation et la pensée critique, est reconnue pour son approche holistique de l'éducation. Au contraire, la Chine ou la Corée du Sud sont embarrassées, car leurs apprenants, quels qu’ils soient, subissent une féroce compétition qui les met sous pression démesurée d’obtenir de bonnes notes pour figurer en tête des classements. Malgré ces efforts collectifs, malgré ces innombrables sacrifices individuels induisant une jeunesse abîmée, ces pays n'ont pas réussi à transformer tout individu en ChatGPT. Quel gâchis !

Où la France se situe-t-elle dans cette nouvelle querelle des Anciens et des Modernes ? Difficile de répondre à cette question : nous avons toujours une grande difficulté à choisir de quel côté de cette barrière pédagogique, nous devons nous situer. Alors qu’il semble que nous penchions fortement vers une pratique chinoise ou coréenne, il nous reste une chance d’amorcer rationnellement le virage de l’IA, une chance d’adaptation à saisir rapidement. 

Repenser le concept d’excellence en y intégrant ces dimensions souvent oubliées - émotionnelles, managériales, collaboratives… Désirer et mettre en mouvement une excellence respectueuse des individus, empathique, inclusive, résolument tournée vers l’humain : drôle d’idée ? Bien qu’ils ne soient pas habituellement dans le radar de l’excellence, demandez donc aux femmes de ménage, aux aides-soignantes ou aux personnels de la restauration s’ils se sentent menacés par ChatGPT.